Alors que le terme « féminicide » est devenu crucial pour sensibiliser l’opinion publique, les chiffres officiels suscitent des interrogations quant à leur méthodologie. Malgré une baisse du nombre de victimes en 2023, le débat sur les violences conjugales reste brûlant, avec 31 femmes déjà tuées depuis le début de l’année. À la lumière de l’affaire Bertrand Cantat qui ressurgit, nous assistons, à des failles persistantes dans la lutte contre les féminicides, en 2024.
Le terme « féminicide » est récemment devenu courant en France, bien que les violences mortelles contre les femmes en raison de leur genre aient toujours existé. À l’époque romaine on parlait d’uxoricide du latin uxor qui signifie « épouse » et -cide, de caedere qui signifie « couper, tuer » en latin. Selon la chercheuse Margot Giacinti, l’«uxoricide » est lié à l’adultère, ce qui rend son utilisation dans le langage courant plus délicate. En 1976, la sociologue sud-africaine Diana Russel, emploie pour la première fois le terme « féminicide ». Contrairement au terme général d’ « homicide conjugal », le féminicide spécifie que la victime est tuée en raison de son genre. En France, c’est en 2015 que ce mot intègre Le Petit Robert, mais son usage s’est réellement généralisé à partir de 2019. En effet, en 2019, plusieurs événements ont contribué à sensibiliser l’opinion publique sur les féminicides, notamment l’affaire Daval lorsqu’après l’avoir publiquement pleuré le conjoint d’Alexia Daval a avoué l’avoir tuée.

Le triste cas d’Alexia n’est malheureusement pas un incident isolé en France. Selon Féminicides par compagnons ou ex France, un total de 31 femmes ont déjà perdu la vie cette année en raison de leur genre. Dans un effort pour lutter contre cette tragédie persistante, le gouvernement a lancé un Grenelle dédié à la lutte contre les violences conjugales. L’introduction du terme « féminicide » dans le discours politique et médiatique a marqué une étape importante. Son utilisation vise à mettre en lumière ce phénomène alarmant et à sensibiliser le public à ses conséquences dévastatrices.
Les opinions divergent quant à l’inscription du terme « féminicide » dans le Code pénal français. Certains soutiennent cette mesure, arguant qu’elle renforcerait la reconnaissance juridique de ces crimes spécifiques. Cependant, d’autres expriment des préoccupations quant à la division potentielle que cela pourrait engendrer au sein de la société. En fin de compte, le débat sur l’usage et la reconnaissance du terme « féminicide » persiste en France. Ce débat reflète les tensions et les interrogations entourant la manière dont la société aborde et réagit aux violences basées sur le genre.
94 féminicides en 2023 : Des questions sur la méthodologie de comptage
Le 2 janvier 2024, le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti a annoncé que 94 femmes ont été victimes de féminicide, tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2023. Cette annonce, bien que marquée par une baisse de 20 % par rapport aux chiffres de l’années 2022, a soulevé des interrogations quant à la méthodologie utilisée pour parvenir à ce décompte. En effet, aucune explication détaillée n’a été fournie concernant les critères de comptabilisation de ces événements meurtriers. Cette déclaration intervient dans un contexte où la lutte contre les violences faites aux femmes demeure une priorité nationale selon Emmanuel Macron.

Entre 2006 et 2022, par an en moyenne on compte 27 homicides d’hommes et 128 féminicides, le nombre d’homicides sur des hommes au sein du couple est 5 fois inférieur à celui des femmes et plutôt constant. D’après l’association #Noustoutes cela s’explique par plusieurs facteurs : les inégalités de genre favorisant la domination masculine, la prévalence de la violence conjugale, les normes sociales minimisant la violence contre les femmes, et les obstacles à l’accès à la justice.
Maria Marcela y de los Rios, chercheuse Mexicaine, décrit ce phénomène systémique comme un crime dit collectif, de masse, à tendance génocidaire car il s’agit de détruire tout ce qui constitue les femmes en tant qu’identité, peuple et univers. Suite aux nombreux corps de femmes retrouvés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, Marcel y de los Rios explique que ces corps ne sont pas seulement tués mais sur-tués en définissant le sur-meurtre comme un homicide volontaire et caractérisé par un acharnement particulier.

L'affaire Marie Trintignant, témoin de l'évolution du regard porté sur les féminicides ou presque
Le 7 février 2024, le groupe “Détroit” notamment composé du chanteur Bertrand Cantat a lancé une cagnotte Ulule pour financer son nouvel album. Les donateurs ont afflué et l’objectif a rapidement été atteint, en moins d’une heure plus de 100 000 euros ont été récoltés. Si cette cagnotte a fait polémique c’est parce que Bertrand Cantat a tué sa conjointe Marie Trintignant en juillet 2003.
Les archives de la presse, révélatrice d’une époque où un féminicide était un crime passionnel
Le féminicide de Marie Trintignant s’est déroulé il y a maintenant plus de 20 ans. À l’époque, le couple était très suivi par la presse people et le meurtre a fait couler beaucoup d’encre. La révélation des affaires Weinstein et Metoo, ont participé au changement de prisme des médias sur la question des femmes, de la sexualisation des femmes et des violences conjugales.


En 2003, le meurtre de Marie Trintignant était décrit comme “ une violente querelle”, et la victime était dépeinte comme une “hystérique”. Le média 20 minutes à la veille du procès avait titré “procès passionnel” en référence au crime passionnel, terme utilisé pour décrire un féminicide à l’époque. Le sérieux et la gravité des actes de violences conjugales étaient minimisés. L’auteur du crime était romancé et présenté comme une victime. Dans une tribune publiée dans Libération par Jacques Lanzmann, on pouvait lire “Que s’est-il passé avant les coups ? Sont-ils partis soudainement ? Ou au contraire, ont-ils été contenus, retenus, jusqu’à l’ultime humiliation?” Le public délivre même des messages de soutien dans différents médias, “Ma plus grande douleur aujourd’hui est de voir Bertrand souffrir ainsi” ou encore “Je ne pourrais jamais dire ce type est une ordure, un salaud” dans les Inrockuptibles en 2003. Aujourd’hui, ceux qui prennent publiquement la défense de Bertrand Cantat sont plus rares cependant les internautes n’hésitent pas à montrer leur soutien à Bretrand Cantat sur les réeaux sociaux.
Sophie Gourion, journaliste web, met en lumière dans son article » Les mots tuent – Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde » la lente évolution de la médiatisation des féminicides. Elle passe en revue les cas où des articles ont minimisé les faits ou adopté un ton humoristique pour désigner des féminicides, des agressions sexuelles ou des viols.