La France dans le Sahel : État des lieux

Après plusieurs décennies de présence militaire sur le continent africain, la France se retire de plus en plus de l’Afrique. Ce retrait progressif est considéré par beaucoup, à tort ou à raison, comme une perte de l’influence française sur le vieux continent : Se retirer « militairement » devrait être considéré comme une perte d’influence ? L’influence se résumerait il aux activités militaires ?  Si non, pourquoi cela est-il interprété comme tel ? Dans le présent article, nous proposerons une perception alternative des relations Afrique France à partir des communications politiques de différentes époques, d’une profondeur historique des coopérations de la France en Afrique, etc. 

« Il y a là des millions d’hommes et de femmes auxquels nous avons montré la voie du progrès. Toutes nos réalisations techniques et sociales sur place en plein cœur des forêts ou des steppes, dans cette Afrique immense si souvent par ailleurs déshéritée, toutes ces réalisations leur ont fait toucher du doigt ce que pouvait être le progrès moderne, le niveau de vie d’un homme. Croyez-vous que maintenant que nous sommes allés les chercher de l’autre côté des rives de la barbarie, que nous leur avons montré ce qu’était la civilisation, croyez-vous que nous pouvons, sans péril immense, les laisser au milieu du gué et prendre la responsabilité de ne pas leur faire traverser la rivière ? »

Maurice Faure, député et ministre, Le Monde diplomatique, mai 1958.

Tenter d’expliciter les relations Afrique-France, c’est s’adonner à un exercice très difficile, du fait de la complexité et l’opacité historiques qui sous-tendent ces relations. Toutefois, la citation du député français Maurice Faure, nous donne un aperçu de la mission politique que s’est assignée la France dans les années 1950, aux lendemains des indépendances des colonies francophone : Après les avoir chercher de l’autre côté de la barbarie [il ne fallait surtout pas laisser les pauvres africains] au milieu du gué, [il fallait] prendre la responsabilité de ne pas leur faire traverser la rivière.

En dépit du fait que ces propos peuvent sembler condescendants, il ne faut surtout pas se laisser gagner par les biais d’émotivité ou d’appartenance qui pourraient corrompre la présente analyse. En effet, les propos de l’ancien député et ministre Maurice Faure appartiennent à une époque où de telles réflexions étaient considérées comme loisibles, acceptables au regard des nombreuses théories ethnographiques, de l’époque, qui s’accordaient à justifier la place de l’« africain » en marge de l’Histoire de l’Humanité. Ce qui va plutôt nous intéresser dans cet article, c’est d’observer l’évolution de cet « état de penser » à travers le temps, donc jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à l’actuel président Emmanuel Macron.

64 ans après les propos de Maurice Faure, on retrouve ceux de l’actuel ministre des armées Sébastien Lecornu qui confiait ceci au journal Le Parisien en 2022 :

« Le Sahel risque de s’effondrer sur lui-même [..] Tout cela se terminera d’ailleurs très mal pour les juntes en question […] Et on nous dit que le problème, c’est la France ! Nous avons été une solution pour la sécurité du Sahel. La France était parvenue à neutraliser la plupart des cellules djihadistes et mis en sécurité des milliers de civils, avant d’être contrainte de partir. Il a suffi qu’on nous invite à partir pour que le terrorisme reprenne »

Sébastien Lecornu Faure, ministre des armées, Le Monde diplomatique, 2022.

Les observations de l’actuel ministre des Armées Sébastien Lecornu sur la situation au Sahel, ainsi que ses prédictions pour le futur des gouvernements de transitions, suscitent des interrogations cruciales concernant la responsabilité de la France dans la zone Sahélienne. Pour comprendre davantage ces propos, nous proposons une analyse dudit discours.

La France comme solution sécuritaire :

Pour le ministre des armées, la France aurait joué un rôle clé dans la sécurité du Sahel : les succès remportés dans la neutralisation de cellules jihadistes et la protection de milliers de civils sont à attribuer à l’intervention française. En mettant en avant cette perspective, la France affirme sa contribution active dans la stabilité des États et dans la lutte contre le terrorisme.

Critiques sur le retrait :

Toutefois, le ministre exprime sa désapprobation quant à la décision de partir, suggérant que l’invitation au retrait a provoqué une recrudescence du terrorisme. En faisant référence au Burkina Faso et aux 2 500 morts causés par le terrorisme depuis le coup d’État de septembre 2022. Dans son analyse, Sébastien Lecornu souligne les conséquences tragiques qui peuvent résulter du retrait prématuré des forces françaises. Aussi, dans son discours, le ministre fait émerger la vulnérabilité des forces locales, voire leur incapacité à assurer la sécurité sans le soutien de la France ; alors que la menace terroriste persiste.

La complexité de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest est mise en évidence par la déclaration du ministre des Armées.  Les interrogations sont nombreuses quant aux responsabilités et aux engagements prises par la France pour assurer la stabilité dans la région.

Dans certains peuples d’Afrique, Il est communément dit qu’ « il n’y a pas de fumée sans feu ». En considérant ce tableau peint par le ministre des Armées, on peut se demander : Si la France a réellement assurer les missions pour lesquelles elle s’est engagée au Sahel, qu’est-ce qui pourrait expliquer la rupture soudaine des partenariats militaires avec les pays demandeurs ? Les choses sont-elles aussi simples que le ministre le présente ?

La France au sahel : Un récit controversé ?

En effet, certains pays, tels que le Mali ou le Burkina-Faso, ont brutalement dénoncé les accords militaires avec la France, expulsant forces militaires et personnels diplomatiques. Simultanément, ces derniers ont renforcé leurs échanges commerciaux et politiques avec la Chine qui opère dans cette région de manière « intelligente et pragmatique » pour la majorité. Les résultats sont observables grâce à la signature des accords commerciaux bénéfiques pour les deux parties. En diminuant les taxes douanières et en exportant des produits chinois à des prix attractifs.  Grâce à une série de synergies industrielles, la Chine se positionne comme un acteur majeur dans la région pour les décennies à venir.

Pourtant, il ne faut pas se leurrer. Aucune puissance, qu’elle soit plus ou moins altruiste, ne peut apporter un appui économique et institutionnel au développement sans rien recevoir en échange. Et plusieurs intellectuels et journalistes africains engagés, à l’image de l’ancien journaliste de RFI Alain Foka, s’époumonent à le faire remarquer pour répondre au discours décrivant « les Africains sous influence russe ». La question qu’on pourrait se poser est de savoir : comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les causes de ce qui ce qui a été donné à voir, à tort ou à raison, comme un « ressentiment anti-français » en Afrique ?

Afrique-France : Considérer l’opacité historique

Les colonisations des XIXe et XXe siècles sont fondées sur une relation hiérarchique. Une métropole qui investit, exploite les ressources et dirige à travers des institutions établies pour servir ses intérêts. En outre, les colonies jouent un rôle essentiel en tant que fournisseurs de main-d’œuvre à faible coût et de matières premières illimitées. En vrai, la France n’a pas été une exception, mais un modèle : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal ou l’Espagne ont suivi des dynamiques similaires sur leurs territoires africains et asiatiques. Dans un premier temps, la colonisation française a été marquée par l’exploitation abusive des ressources économiques dans les territoires administrés, que ce soit par des investissements publics ou privés.

Cette réalité a créé au fil des années, même après les indépendances, comme le montre si bien les propos de Maurice Faure, une relation inégale qui a pris la forme d’un sentiment d’humiliation et d’abus au sein des populations locales. Pour la majorité des populations africaines, les jeunes surtout, c’est un sentiment de ras-le-bol qui se fait remarquer, comme l’a confié un activiste panafricaniste, Mamadou Diabaté, lors d’une enquête de terrain à Antibes en 2023 :

« C’est faux de parler de sentiment anti-français. Il n’y a pas de sentiment anti-français, il y a plutôt un sentiment de rejet de la politique africaine en France. […] admettons que ce n’est pas la France qui est responsable de nos malheurs, je veux bien le croire puisqu’il ne faut pas oublier que nos dirigeants ne sont pas meilleurs. Toutefois, pourquoi la France s’obstine tant à ne pas regarder ailleurs et nous laisser nous fait piller par les russes et les chinois s’ils n’ont aucun intérêt en Afrique ? qu’est-ce que ça leur fait à ces politiques qui prétendent représenter les français de nous voir nous fait piller ? Ils l’ont fait dans le passé, non ? Bah, qu’ils laissent les autres puissances profiter également […] »

Ces propos contrastent avec les versions officielles admises par le ministre des armées et le président Emmanuel Macron. Aussi, ils s’inscrivent dans une longue file de réclamation de la part des populations africaines, notamment les jeunesses et diasporas qui perçoivent, à ce jours, les discours de l’actuel ministre des armées et même ceux du président Emmanuel Macron comme appartenant « à la vieille époque », celle de Maurice Faure,  qu’on connut leurs grands-pères dans les époques post-coloniales. Ils contestent vivement l’image salvatrice que les politiques français proposent à l’opinion nationale et internationale. Pour cette jeunesse-là, la réalité est tout autre. Et l’on a pu souligner cela lors du dernier sommet Afrique-France en 2021, où l’activiste malienne, Adam Sacko a formulé ses remarques de la manière suivante :

« […] Je veux rappeler à monsieur le Président que ce qui se passe au Sahel a été les conséquences de ce qui a été fait en Lybie. Cette intervention en Lybie, où vous avez oublié l’existence de l’Union africaine. Monsieur le président, vous aimez le dire : Nous sommes venus au Mali pour aider le Mali, si nous étions pas venus au Mali, il n’allait pas voir de gouvernement au Mali, j’ai envie de vous dire que s’il n’y avait pas d’africains, il n’allait pas avoir de France aujourd’hui. Nous sommes liés, arrêtez de dire que vous êtes venus nous aider, Non ! parce que le terrorisme ne menace pas que le Mali, vous êtes aussi menacés […] »

Adam Dicko, Nouveau Sommet Afrique-France, Montpellier, 2021

En somme, les populations africaines, notamment les jeunesses et diasporas africaines aspirent à une transformation des relations entre les États d’Afrique et d’ailleurs qui garantissent la souveraineté et l’intégrité de chaque nation. Par ailleurs, loin de donner une explication exhaustive de la complexité des relations Afrique-France et des tensions actuelles qui persistent entre la France et certains pays africains, notamment ceux du Sahel, nouvellement AES, nous avons voulu, dans cet article partir d’un rapprochement de propos (1058-2022) pour montrer comment l’usage de certains termes dans certains discours, dans certains contextes pourrait conduire à des délitements notoires à différents strates des coopérations internationales.

Nicolas Boileau n’aurait-il pas dit que : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément […] » ?

C’est dans ce contexte que la jeunesse africaine et les Diasporas décryptent la politique africaine de la France, à travers ses mots ; malgré tout le message demeure confus. Pour récompenser votre fidélité, nous avons dressé un aperçu historique des actions militaires françaises sur le continent africain.

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