Depuis la fin de la guerre froide, la menace d’un conflit nucléaire semblait reléguée au passé. Pourtant, en 2022, en plaçant les forces nucléaires russes en état d’alerte « spéciale » peu après l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine a ravivé cette crainte, rappelant au monde la puissance destructrice des armes de destruction massive. De l’autre côté de l’Atlantique, les incertitudes de l’ère Donald Trump inquiètent aussi et force l’Europe a repenser progressivement sa stratégie de défense en s’inspirant du modèle français.

La bombe atomique, avant tout une histoire de chimie
Depuis le début du XXe siècle, la maîtrise de l’énergie nucléaire a profondément transformé le cours de l’Histoire. D’abord objet de recherches théoriques, la fission nucléaire s’est rapidement imposée comme une avancée scientifique majeure, ouvrant la voie à des applications aussi bien civiles que militaires. Son développement a bouleversé les équilibres géopolitiques, notamment par l’essor de la dissuasion nucléaire. Comprendre les étapes clés de cette découverte permet de mieux appréhender les enjeux technologiques et stratégiques qui en découlent.
Voici une chronologie des moments marquants ayant jalonné l’histoire de la fission nucléaire.
Quelques bases théoriques nécessaires
La dissuasion nucléaire est un concept stratégique qui repose sur l’idée que la possession d’armes nucléaires empêche un adversaire d’attaquer, par crainte de représailles dévastatrices. Elle s’inscrit dans une logique où la prévention du conflit est assurée non pas par la supériorité militaire conventionnelle, mais par la menace d’une destruction inacceptable. Ce principe, hérité de la Guerre froide, continue de structurer les équilibres internationaux.
La théorie de la dissuasion repose sur plusieurs conditions essentielles. D’abord, un État doit posséder une capacité de représailles crédible, c’est-à-dire un arsenal nucléaire capable de survivre à une première attaque et de répondre en conséquence. Ensuite, la menace d’emploi de ces armes doit être perçue comme crédible par les adversaires potentiels. Enfin, la dissuasion suppose une certaine rationalité des acteurs : chaque camp doit être en mesure d’évaluer les conséquences catastrophiques d’un affrontement nucléaire et d’y renoncer.
Dissuasion par punition ou par déni ?
On distingue généralement deux approches théoriques de la dissuasion. La première est la dissuasion par punition, qui repose sur la menace de représailles massives. Elle vise à convaincre un adversaire que toute agression entraînerait une riposte nucléaire d’une ampleur telle que les dommages infligés seraient inacceptables. C’est la logique de la destruction mutuelle assurée (Mutual Assured Destruction, ou MAD), qui a marqué la Guerre froide et reste un fondement des doctrines nucléaires des grandes puissances. La seconde approche est la dissuasion par déni, qui consiste à persuader un ennemi qu’une attaque serait vouée à l’échec en raison des capacités de défense avancées du pays ciblé, notamment par des systèmes de défense antimissile ou des forces de seconde frappe.
Les stratégies nucléaires diffèrent également selon les États. Certains adoptent une dissuasion minimale, considérant qu’un arsenal limité, mais fonctionnel, suffit à dissuader toute attaque (Royaume-Uni ou la France). D’autres privilégient une dissuasion élaborée, avec un large arsenal incluant des missiles balistiques intercontinentaux, des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et des armes tactiques, afin d’adapter leur riposte à différents scénarios (États-Unis ou la Russie).
Aujourd’hui, la dissuasion nucléaire reste un élément clé des relations internationales, mais elle est confrontée à de nouveaux enjeux. L’émergence de puissances régionales dotées de l’arme nucléaire (Pakistan ou Israël), les avancées technologiques en matière de cyberattaques et d’armes hypersoniques, fragilisent l’équilibre stratégique mondial. La logique de la dissuasion, qui a jusqu’ici empêché les grandes puissances d’employer l’arme nucléaire, demeure toutefois un facteur central dans la prévention des conflits majeurs.
Mais attention ! Tout le monde n’a pas le droit de l’avoir, comprenez bien…
Les zones exemptes d’armes nucléaires (ZEAN) sont établies par des traités internationaux visant à interdire la possession, l’utilisation et le déploiement d’armes nucléaires dans certaines régions du monde. Ces accords renforcent la sécurité régionale et contribuent à la non-prolifération nucléaire. De fait, ils contribuent indirectement à promouvoir la paix et la sécurité internationale. De façon plus plus large, ils s’inscrivent dans une dynamique plus large de désarmement nucléaire et de coopération multilatérale.
–> Le Traité de Tlatelolco, signé en 1967, interdit les armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes. Il a été mis en œuvre par l’Agence pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et les Caraïbes (OPANAL). Ce traité est un modèle pour les autres régions du monde cherchant à interdire les armes nucléaires.
–> Le Traité de Rarotonga, signé en 1985, établit une zone exempte d’armes nucléaires dans le Pacifique Sud. Il interdit la possession, le test et le stationnement d’armes nucléaires dans cette région, couvrant des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et plusieurs États insulaires du Pacifique.
–> Le Traité de Bangkok, signé en 1995, concerne l’Asie du Sud-Est. Il interdit aux États membres de l’ASEAN de développer, acquérir ou utiliser des armes nucléaires. Ce traité vise à renforcer la stabilité régionale et à empêcher la prolifération nucléaire en Asie face à la menace chinoise.
–> Le Traité de Pelindaba, signé en 1996, interdit les armes nucléaires en Afrique. Il inclut un mécanisme de surveillance assuré par l’African Commission on Nuclear Energy (AFCONE). Ce traité est particulièrement important et symbolique car l’Afrique du Sud est le seul pays à avoir volontairement renoncé à son programme nucléaire militaire.
–> Le Traité de Semipalatinsk, signé en 2006, interdit les armes nucléaires en Asie centrale, couvrant le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan. Cette région a une histoire marquée par les essais nucléaires soviétiques, notamment sur le site de Semipalatinsk au Kazakhstan.
–> Enfin, la Mongolie bénéficie d’un statut spécial en matière de non-nucléarisation. En 1992, elle s’est déclarée État exempt d’armes nucléaires, un statut reconnu par l’ONU en 1998. Cette déclaration renforce sa neutralité et sa sécurité dans une région entourée de puissances nucléaires comme la Chine et la Russie.
La course à l’armement nucléaire et la prolifération nucléaire
La course à l’armement nucléaire : du lendemain de la Seconde Guerre mondiale à la fin de la guerre froide.
Depuis 1945, la course à l’armement nucléaire est l’un des éléments les plus marquants de la géopolitique mondiale et des relations internationales. Ces lorsque les États-Unis ont décidé de larguer des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945 que cette course députa. Cet événement marqua le début d’une ère où les grandes puissances se sont engagées dans une compétition effrénée pour développer et accumuler des armes nucléaires. En effet, face à cette puissance de frappe, les autres grandes puissances telles que l’URSS savaient qu’il devait détenir la bombe pour rester une puissance hégémonique.
En 1949, l’Union soviétique réalise son premier essai nucléaire, mettant fin au monopole américain. Cet évènement donna naissance à une rivalité intense entre les deux pays durant la Guerre froide.
Les années 1950 et 1960 voient une escalade rapide des tensions, marquée par le développement de la bombe à hydrogène, mille fois plus puissante que les bombes atomiques initiales. Les États-Unis et l’URSS accumulent alors des milliers d’ogives et perfectionnent leurs vecteurs de lancement, notamment avec les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) et les bombardiers stratégiques.
Dans les années 1960, la crainte d’une destruction mutuelle pousse les nations à négocier des accords pour limiter la prolifération et l’usage des armes nucléaires. Au delà des traités régionaux comme vu précédemment, le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) est adopté en 1968 pour empêcher de nouveaux pays d’acquérir l’arme atomique. Malgré cela, le Royaume-Uni, la France et la Chine deviennent des puissances nucléaires dans les années 1960. Plus tard l’Inde et le Pakistan développeront aussi leurs propres arsenaux.
Ci-dessous une infographie sur La course à l’armement nucléaire et le nombre de têtes nucléaires dans le monde de 1945 à 2024, par pays :
La prolifération nucléaire et son avancée malgré la fin de la guerre froide.
Après la Guerre froide, la dissuasion nucléaire reste un élément central des relations internationales. Des traités vont encore être signés comme le traité START (Strategic Arms Reduction Treaty) entre les États-Unis et la Russie. Celui-ci permet de réduire le nombre d’ogives stratégiques. Cependant, cela ne marque pas l’arrêt de la course à l’armement nucléaire. En effet, de nouvelles menaces émergent avec des pays comme la Corée du Nord, qui effectue ses premiers essais nucléaires en 2006.
Aujourd’hui, l’équilibre nucléaire repose sur la dissuasion et la diplomatie. Récemment, les tensions entre grandes puissances, notamment entre les États-Unis, la Russie et la Chine ont ravivé les inquiétudes d’une nouvelle course à l’armement. Les progrès technologiques, comme les missiles hypersoniques et les armes nucléaires tactiques, redéfinissent les stratégies militaires et posent des défis inédits en matière de sécurité mondiale.
Le stockage des bombes nucléaires en Europe et la présence des bases nucléaires américaines
L’Europe est un continent où la question nucléaire revêt une importance stratégique capitale. Deux types de forces nucléaires y sont présentes : les arsenaux nationaux français et anglais et les armes nucléaires américaines déployées dans le cadre du programme de partage nucléaire de l’OTAN.
L’Europe compte deux puissances nucléaires officielles : la France et le Royaume-Uni, qui possèdent leurs propres arsenaux indépendants.
La force nucléaire française et anglaise
La France est l’un des rares pays au monde à disposer d’une force de dissuasion nucléaire autonome. Elle dispose d’environ 290 ogives nucléaires. Son arsenal repose sur deux composantes :
- La force océanique stratégique (FOST) : composée de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la classe Le Triomphant, basés à l’Île Longue, près de Brest. Chacun peut emporter jusqu’à 16 missiles balistiques M51, eux-mêmes équipés d’ogives nucléaires.
- La force aérienne stratégique (FAS) : des missiles ASMPA (Air-Sol Moyenne Portée Amélioré) transportés par des Rafale de l’Armée de l’Air et de la Marine nationale, opérant depuis plusieurs bases aériennes comme Saint-Dizier et Istres.
Le Royaume-Uni possède de son côté un arsenal plus restreint, centré uniquement sur la dissuasion maritime. Ses quatre sous-marins nucléaires de la classe Vanguard, basés à Faslane en Écosse, transportent des missiles balistiques Trident II D5.
Les armes nucléaires américaines en Europe
Outre ces arsenaux nationaux, des bombes nucléaires américaines sont stockées dans plusieurs pays européens dans le cadre du programme de partage nucléaire de l’OTAN. Selon des estimations, environ 100 bombes B61 sont stationnées dans cinq pays européens : Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas et la Turquie.
Ces bombes sont conçues pour être larguées par des avions de combat, notamment les F-16 et Tornado des pays hôtes. Certains d’entre eux modernisent leur flotte avec des F-35 pour garantir leur compatibilité avec les nouvelles versions des bombes B61.
La présence d’armes nucléaires américaines en Europe remonte à la Guerre froide. Historiquement, ces armes ont été déployées en réponse à la menace soviétique. L’objectif était d’empêcher une attaque conventionnelle ou nucléaire de l’URSS contre les alliés européens.
La présence nucléaire américaine en Europe sert aussi de protection contre d’autres menaces, comme la prolifération nucléaire en Iran ou la montée en puissance militaire de la Chine. Même si l’OTAN reste principalement tournée vers la Russie, le rôle des armes nucléaires pourrait évoluer pour répondre à de nouvelles formes de conflits.
Bien que ces armes soient destinées à garantir la sécurité du continent, leur présence suscite des controverses et des débats. Par exemple, Moscou considère la présence nucléaire américaine en Europe comme une menace. Comme dit en introduction, la question des armes nucléaires américaines en Europe est un sujet qui risque d’évoluer rapidement avec la nouvelle élection de Donald Trump au Bureau ovale.
Ci-dessous une infographie présentant où sont stockées les armes nucléaires et le détail des installations :
Mario BRIAND – François BERGE