Le secteur agricole en crise : un problème européen ?
La fin de l’année 2023 a été marquée par une grande vague de contestations dans le monde agricole, mettant en scène les agriculteurs européens, leurs gouvernements respectifs et la commission européenne. Au regard de leurs impacts médiatiques et les questions essentielles qu’elles soulèvent, nous avons essayé de porter un regard chronologique et analytique sur ces événements qui ont ébranlé durant quelques semaines le paysage socio-politique européen, à quelques mois seulement des élections de juin.
Les manifestations agricoles en Europe entre janvier et février 2024 reflètent les défis variés auxquels le secteur est confronté. Les agriculteurs ont exprimé leur mécontentement envers ce qu’ils considèrent comme des « injustices » notamment des déséquilibres notoires dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, des contrats moins équitables pour assurer des revenus décents, la concurrence déloyale porté par les accords de libre-échange avec le Mercosur, le Green Deal, la guerre en Ukraine, etc. Les agriculteurs ont soulevé des préoccupations concernant les normes écologiques et les réglementations jugées excessives, appelant à des révisions des politiques pour garantir leur compétitivité. L’importance de protéger les industries nationales contre les importations étrangères a été soulignée, tout comme la nécessité de coordonner les politiques nationales avec celles de l’UE pour répondre aux préoccupations des agriculteurs. Ces manifestations mettent en évidence l’urgence de réformes structurelles et de politiques agricoles plus inclusives pour assurer la durabilité et la résilience du secteur agricole européen.
La crise agricole en France: effets et enseignements
Depuis plusieurs mois, le monde agricole français est agité par une série de manifestations agricoles organisées par divers syndicats et regroupements du secteur. Ces actions font écho à des revendications cruciales. La diminution de la taxe sur le gazole non routier (GNR) et l’augmentation des paiements pour la Politique Agricole Commune (PAC), ainsi que la résolution rapide des dédommagements promis suite aux dégâts causés par les tempêtes et les inondations.
Les agriculteurs français expriment depuis plusieurs mois leur insatisfaction à travers différentes formes de protestation. Les revenus des agriculteurs ont diminué de manière significative en 2023 après deux années de progression notable. Selon l’Insee, la valeur ajoutée par actif a chuté de 9 % cette année-là, marquant ainsi une rupture par rapport aux années précédentes. Pour récapituler, le revenu agricole est en baisse, une situation qui se complique en raison de l’inflation. Ces manifestations sont perçues comme un mouvement de contestation contre les politiques nationales et européennes qualifiées d' »ultralibérales« . Elles s’opposent également à certaines politiques environnementales jugées préjudiciables aux intérêts de l’agriculture française.
La singularité française et la convergence des contestations agricoles
Les agriculteurs français ont entamé leurs manifestations le 18 janvier dernier en bloquant plusieurs autoroutes autour de la capitale Paris. Les raisons de leur désaccord sont diverses : la baisse de la taxe sur le gazole non routier (GNR), l’augmentation des paiements dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC), ainsi que la résolution rapide des indemnisations promises pour les dommages causés par les tempêtes et les inondations, constituent autant de revendications majeures. Ils expriment également leur mécontentement face à leurs revenus modestes, à l’augmentation des prix des engrais, ainsi qu’à l’importation croissante dans l’Union européenne d’aliments moins chers que ceux produits localement, ce qui crée une « concurrence déloyale » car les normes réglementaires ne sont pas toujours respectées par ces importations.
De plus, les agriculteurs expriment leur frustration face à l’accentuation des règles agricoles européennes, à l’adoption croissante de mesures environnementales strictes, notamment dans le cadre du Green Deal européen. Ils déplorent également une bureaucratie accrue dans les procédures administratives, souvent dictées au niveau européen, ainsi qu’une opposition aux règles interdisant l’utilisation d’insecticides, comme c’est le cas pour les betteraves, entraînant la fermeture de producteurs de sucre. Ils soulignent également les défis posés par l’inflation économique et les impacts du changement climatique, qui ont entraîné des périodes de sécheresse, d’inondations ou d’incendies dévastateurs, compromettant ainsi la viabilité de leur travail dans les champs.
Certains mouvements de protestation ont temporairement cessé en raison des mesures gouvernementales. L’exécutif français a réagi aux manifestations des agriculteurs en prenant plusieurs mesures, dont l’annulation de l’augmentation prévue du tarif du carburant pour les tracteurs, la simplification des procédures administratives et la décision de ne pas interdire certains pesticides autorisés dans d’autres pays de l’UE. De plus, l’importation de fruits et légumes traités avec un insecticide interdit au niveau européen a été interdite, conformément à une nouvelle politique. Une proposition de création d’une force européenne de contrôle pour lutter contre la fraude a également été avancée. Le gouvernement a également annoncé une aide financière importante pour soutenir les éleveurs et une réduction des impôts sur les exploitations agricoles transmises aux jeunes générations.
Quelles mesures de soutien le Gouvernement a-t-il annoncées?
En ce qui concerne l’accord UE-Mercosur (une alliance économique organisée entre plusieurs pays d’Amérique du Sud), le gouvernement français adopte une position prudente dans le secteur agricole, mettant en avant la protection de ses agriculteurs et de son agriculture. Cette réticence est également justifiée par les critiques de certains responsables, comme le président Lula da Silva, qui dénonce un nationalisme protectionniste au sein de l’UE, mettant ainsi en avant les préoccupations environnementales comme obstacle à la finalisation de l’accord.
Dans ce contexte, le président Emmanuel Macron s’est fermement opposé à cet accord commercial, qui est en négociation depuis 1999. Le locataire de l’Elysée estime que les normes de production agricole des États membres du Mercosur ne correspondent pas aux normes européennes. Le rejet de la France signifie également que les accords de Paris sur le climat ne seront pas intégrés dans l’accord, qu’il n’y aura pas de mesures pour éviter la déforestation, et qu’il n’y aura pas de garantie suffisante en matière de normes sanitaires et environnementales pour les produits agricoles importés dans l’UE depuis le Mercosur. Il convient de dire que les mesures gouvernementales ainsi que l’intervention d’Emmanuel Macron ont apaisé, un tant soit peu, certaines des protestations en France, même si celles-ci et celles qui se poursuivent ont eu, parallèlement, un effet miroir ou de renforcement dans d’autres pays européens.